La Bibliothèque de la Prairie

C'est vrai les histoires sont dangereuses, ma mère avait raison. Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l'ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous ? Jeanette Winterson

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Lisez d'abord les meilleurs livres, de peur de ne les lire jamais. Henry David Thoreau
  • LA PRAIRIE



Des poètes dans la prairie

Ouvre un livre.

C'est lui qui t'ouvrira.


Proverbe Chinois


Les livres qu'on ne relit pas sans cesse avec plaisir ne valent pas la peine d'être lus.

Oscar Wilde

Un été avec Tolstoï



Les grimoires dans la prairie






Les trois "beaux" livres photographiés sont :

Les Bouquets Champêtres d'une Dame Anglaise de Fanny Robinson éditions Flammarion.

La Flore d'Europe Occidentale de Marjorie Blamey et Christopher Grey-Wilson éditions Arthaud.

Les Fruits de Jacques Brosse éditions bibliothèque de l'image.

Pour découvrir d'autres flores et livres sur les plantes c'est
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Je m'en revenais par les champs. C'était en plein été. Les foins étaient rentrés, on allait se mettre à faucher le seigle. Ce moment de l'année offre un délicieux assortiment de fleurs : les trèfles incarnats, blancs, roses, odorants, floconneux ; les pâquerettes effrontées, les marguerites blanches comme du lait, , "un peu, passionnément, pas du tout", avec leur coeur d'or éclatant, leur odeur épicée, bourbeuse ; les sénés jaunes au parfum de miel ; les campanules haut perchées, avec leurs clochettes mauves ou blanches ; les vesces à raz de terre ; les jolies scabieuses jaunes, rouges, roses, mauves, le plantain au duvet tout juste rose, à la bonne odeur tout juste perceptible ; les bleuets qui, jeunes, ou bien au soleil, sont bleu vif, mais en vieillissant, ou bien le soir, se font plus clairs et roussissent ; puis, avec leur parfum d'amande, les tendres fleurs de la cuscute qui se fanent sitôt ouvertes. J'avais cueilli un gros bouquet et je revenais à la maison quand, dans un fossé, j'aperçus un superbe pied de chardon étoilé, couleur framboise, en plein fleur, de cette espèce que chez nous on appelle le "tatar" ; les faucheurs prennent bien soin de l'éviter, et quand, par malchance, il leur arrive d'en couper un, ils l'ôtent de l'herbe et le jettent pour ne pas s'y piquer les mains. J'eus l'idée de prendre ce chardon pour le placer au milieu de mon bouquet. Je descendis dans le fossé et, ayant chassé un bourdon velu qui s'était installé au milieu de la fleur pour butiner et, doucement, mollement, s'y était endormi, j'entrepris de la cueillir. Mais ce fut très difficile : non seulement la tige piquait de partout, même à travers le mouchoir dont je m'étais enveloppé la main, mais elle était terriblement dure, si bien que je dus me débattre avec elle pendant cinq bonnes minutes en brisant les fibres une à une. Quand j'en fus enfin venu à bout, la tige était toute déchirée et la fleur même ne paraissait plus si fraîche ni si belle. En plus, elle était trop grossière, trop ordinaire, pour aller avec les autres couleurs, plus douces, du bouquet. Je regrettai d'avoir abîmé pour rien une fleur qui avait été belle, à sa place, et je la jetai. "Mais quelle énergie, quelle force de vie ! pensai-je en me rappelant les efforts qu'elle m'avait coûtés. Comme elle s'est défendue, comme elle a vendu chèrement sa vie !" Le chemin qui me conduisait à la maison passait par une jachère fraîchement labourée. Je m'en allais à pas traînants dans la poussière noire. Ce champ appartenait à un gros propriétaire. Il était immense. A gauche, à droite, aussi bien qu'en avant, vers la côte, on ne voyait rien d'autre que les sillons égaux du labour, qu'on n'avait pas encore hersé. C'était un très beau travail, il ne restait pas une seule plante, pas une seule herbe ; il n'y avait plus que de la terre noire. "Quelle cruauté, quelle force de destruction dans l'homme ! Combien d'êtres vivants, combien de plantes n'a-t-il pas anéantis pour soutenir sa vie !", pensai-je en cherchant involontairement un peu de vie dans le champ noir et mort. Devant moi, à droite du chemin, j'aperçus comme un petit buisson. Quand je m'en fus approché, je reconnus un chardon pareil à celui dont j'avais cueilli pour rien, puis jeté la fleur. La touffe du tatar se composait de trois jets. L'un avait été brisé. Ce qui en restait se dressait comme un bras coupé. Chacun des deux autres portaient une fleur. Elles avaient été rouges, mais elles étaient noires maintenant. D'une tige cassé, la moitié pendait avec, au bout, la fleur salie. L'autre, bien que souillée par la terre noire, se dressait encore toute droite. On voyait bien que tout le pied de chardon avait été écrasé par une roue, puis s'était relevé si bien qu'il se tenait de travers, mais quand même debout. C'était comme si on lui avait arraché un membre, ouvert les entrailles, coupé un bras, crevé un oeil, mais il était toujours debout et ne se rendait pas à l'homme qui avait anéanti tous ses frères autour de lui. "Quelle énergie ! pensai-je, l'homme a tout vaincu, il a détruit des millions d'herbes, mais celle-ci ne se rend pas." Léon Tolstoî - Hadji Mourat
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